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20 juin 2008 5 20 /06 /juin /2008 12:32

Incroyable ! Alors même qu’on fêtera en novembre prochain le centenaire de Claude Lévi-Strauss, on diffusait dans tous les média les photos volées d’une tribu amazonienne préservée dans son écrin de forêt vierge.


L’ONG Survival International estime qu’il existe au total une centaine de tribus isolées dans le monde dont une cinquantaine sur le seul territoire brésilien. Cette vraie fausse découverte – elle l’est en tout cas pour le grand public ! -ne manquera pas d’attiser le débat sur le choc des civilisations. Doit-on préserver ces tribus au sein d’une sorte de réserve ou de sanctuaire ? Doit aller à leur rencontre et comment engager la relation ?

Voilà une bonne occasion de ressortir quelques ouvrages de Lévi-Strauss, le père du structuralisme  qui faisait encore début mai la une du Nouvel Observateur à l’occasion de la réédition des ses œuvres dans la collection de La Pléiade.

Claude Lévi-Strauss est né en 1908. Petit fils de rabbin versaillais, il expérimente l’antisémitisme des années 30. Agrégé de philosophie, il part en 1935 au Brésil. A son retour, il ne prend pas tout de suite la mesure du danger hitlérien. En 1940 il défend même sa candidature  à un poste au lycée Henri IV. Finalement il s’embarque pour New York où on lui confie des cours de sociologie contemporaine de l’Amérique du Sud, dont il ignore presque tout. C’est à cette époque qu’il s’atèle à la rédaction des « Structures élémentaires de la parenté ». C’est à cette même époque qu’il côtoie les surréalistes comme Breton, Ernst ou Duchamp. C’est aussi à cette époque qu’il rencontre le linguiste Roman Jakobson et découvre le structuralisme.

« Le structuralisme, pour dire les choses simplement, est avant tout une façon de ne pas se laisser duper par le sentiment de l’identité personnelle. A rebours de l’existentialisme sartrien, Lévi-Strauss entre en guerre contre le « sujet », « cet insupportable enfant gâté qui a trop longtemps occupé la scène philosophique, et empêché tout travail sérieux en réclamant une attention exclusive ». Ainsi se place-t-il résolument du côté de la « rationalité sans sujet » contre les tenants du « sujet sans rationalité ». Du marxisme, sa pensée hérite l’idée que toute conscience sociale est trompeuse et que l’existence pratique des hommes conditionne leurs productions psychiques. Du freudisme, celle que même les expressions en apparence les plus arbitraires voire absurdes de l’esprit peuvent être déchiffrées. Ainsi Lévi-Strauss se lance-t-il dans un inlassable décryptage des invariants et tracés obligatoires qui se dissimulent derrière l’apparente infinité des mythes et autres faits culturels » (Aude Lancelin – Le Nouvel observateur)

Qu’est-ce qu’on peut retenir de son œuvre ? Elle a donné lieu à de nombreuses critiques, de nombreuses controverses ; une fois épuisées il n’en reste pas moins une pensée originale qui a bousculé les idées reçues. Ainsi avancent les sciences ! Claude Lévi-Strauss fait débat mais reste une figure tutélaire de l’ethnologie !

Pour le commun des mortels son œuvre reste particulièrement dense et mérite qu’on manipule déjà pas mal de concepts pour y naviguer à l’aise. « Triste tropique » et « Race et histoire » sont par contre accessibles et éclairant.


Tristes Tropiques paraît en 1955 dans la collection « Terre humaine » crée par l’ethnologue Jean Malaury pour sensibiliser le grand public à la démarche anthropologique. C’est un gros succès de librairie.

C’est un livre inattendu, un récit de voyage et de réflexions, une véritable œuvre littéraire qui tranche résolument avec le ton universitaire auquel on pouvait s’attendre. Lévi-Strauss hésite longtemps à publier ce récit. Il a d’abord l’intention de lui donner la forme d’un roman. Mais c’est finalement sous la forme d’une méditation philosophique qu’il paraît.

L’introduction surprend : « Je hais les voyages et les explorateurs ». Elle est restée célèbre. Le récit est un chassé croisé entre ses souvenirs propres : la montée du nazisme, son exode vers new York, son arrivée en Martinique, son passage à Porto Rico…et son regard d’ethnologue : dès 1935 il a entrepris d’étudier le folklore populaire des banlieues de São Paulo, puis viennent les explorations en forêt amazonienne, ses rencontres avec les indiens Caduveo, Bororo et Nambikwara qu’il décrit avec force détails. Au fil des pages c’est sa vision de l’humanité qu’il partage. Une vision désabusée d’une civilisation occidentale arrogante qui ne provoque que des violences, qui dévaste l’environnement et conduit les sociétés dites « primitive » à leur extinction. La conclusion de son récit de voyage n’est pas moins culpabilisante. Voyager dit-il consiste à se confronter à « notre ordure lancée au visage du monde ».


Autre ouvrage magistrale, particulièrement accessible et dont la lecture bouscule les préjugés : « Race et histoire » ou comment en finir avec le racisme ! Il ne faut surtout pas hésiter à le relire. La lutte contre le racisme, et les discriminations en général est un combat sans fin.

A 2 reprises, à la demande de l’Unesco, d’abord dans « Race et histoire » (1952) puis dans « Race et culture » (1971), Claude Lévi-Strauss s’est penché sur la question du racisme. Grosso modo la biologie montre que nous descendons d’ancêtres communs et que les divergences génétiques sont infimes au regard du patrimoine qui nous lie les uns aux autres. L’ethnologie montre que l’humanité ne se développe pas de façon uniforme mais sous la forme de sociétés et de civilisations diversifiées ; qu’il n’y a pas de corrélation entre la race et les productions intellectuelle, esthétique et sociologique ; qu’il n’y a pas de critères objectifs qui attestent de la supériorité d’une race ou d’une civilisation sur une autre ; que chaque société produit même ses propres groupes de pressions dont les rivalités instaurent des relations de préjugés et de discrimination. Elle montre par contre que l’échange entre civilisations apporte des bénéfices en terme de cumul d’expériences tandis que l’isolement provoque un certain immobilisme. L’évolution des échanges nous conduit à une civilisation mondiale. Mais pas d’angélisme la fraternité n’est qu’une généreuse illusion.

Vous excuserez les à peu prêts, Claude Lévi-Strauss mérite mieux que ses quelques lignes. Sa pensée est dense, structurée, elle invite à une élaboration, une réflexion personnelle. Les deux ouvrages sont à la fois plaisants et utiles pour penser le monde ! A vous de lire…


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